Ce projet - annoncé pour la première fois
en décembre 2013 - prendra l'eau de la mer Rouge, près d'Eilat, la ville la
plus méridionale d'Israël, et utilisera la gravité pour la transporter sur 220
kilomètres via le Royaume de Jordanie jusqu'à la partie sud de la Mer Morte,
adjacente au Désert israélien de l'Arava. L'eau y sera désalinisée, l'eau salée
étant déposée dans la mer Morte en cours de rétrécissement et l'eau douce sera
transférée en Israël dans des fermes qui seront construites dans le désert. En
échange, un pipeline d'eau sera construit depuis Israël vers la capitale de la
Jordanie, Amman et Israël augmentera la quantité déjà considérable d'eau
fournie aux Palestiniens de Cisjordanie, en particulier dans la région d'Hébron.
Le génie stratégique du plan consiste à
tisser entre eux les intérêts économiques vitaux de ces parties, parfois
adversaires. Même si la Jordanie ou la Cisjordanie devaient, un jour, tomber
dans un rejet radical, il serait quasiment impossible pour ces dirigeants de
rompre complètement les liens établis ici, sans créer des difficultés considérables
à leurs populations.
Mais la plus grande nouvelle de la
conférence de presse ne consiste pas en une simple mise à jour du projet de
Canal Mer Rouge-Mer Morte. Elle consiste dans le fait que les plus hauts
responsables de l'eau d'Israël et de l'Autorité palestinienne ont partagé une
étape cruciale et se sont chaleureusement engagés les uns envers les autres.
C'est, pour ainsi dire, un sommet dans l'histoire israélo-palestinienne
concernant cette précieuse ressource.
Suite à sa victoire dans la guerre de
1967, Israël avait pris le contrôle de l'infrastructure locale de l'eau et de
son administration en Cisjordanie, comme dans presque tous les autres aspects
de la vie civile. Cela a changé avec les Accords d'Oslo en 1995, créant à la
fois l'Autorité Palestinienne et une Autorité Palestinienne de l'Eau, cette
dernière étant responsable de superviser les projets de l'eau en Cisjordanie et
à Gaza.
Une autre caractéristique de
transformation de l'accord de 1995 a consisté à modifier l'équilibre des forces,
en donnant à Israël et aux Palestiniens un droit de véto réciproque sur les
projets liés à l'eau en Cisjordanie. Cela a encouragé la coopération et conduit
à une amélioration constante de l'infrastructure de l'eau tant pour les
implantations israéliennes que pour chaque ville et village palestiniens.
Mais depuis 2008, les dirigeants
palestiniens ont décidé de transformer l'eau en un outil politique pour
pilonner Israël. La revendication, qui a peu à peu gagné du terrain parmi
certains membres de la communauté des droits de l'homme et des médias, était
qu'Israël privait les Palestiniens d'eau pour les opprimer et pour briser leur
économie. Sans égard pour le fait qu’Israël adhérait scrupuleusement à l'Accord
d'Oslo et fournissait plus de la moitié de l'eau utilisée par les Palestiniens
en Cisjordanie. L'Autorité palestinienne et ses supporters ont commencé à
parler d’un ‘apartheid de l'eau’ et ont caractérisé toutes tentatives visant à
souligner l'absurdité de cette affirmation de «bluewashing» autrement dit : une
tentative d'étouffer les doléances palestiniennes.
Pour éviter que cette crise de l'eau
montée de toutes pièces ne soit exposée comme un simulacre, il fallait que les
projets d'eau palestiniens s'arrêtent. Les universitaires palestiniens, les
hydrologues, les écologistes et tant d'autres personnes ont été fortement
découragées de mener toute recherche sur l'eau ou de travailler sur des projets
d'eau avec des Israéliens. Le financement des ONG qui transitait par l'Autorité
palestinienne s'est soudain asséché en matière de projets universitaires
conjoints sur l'eau. On a dit aux ingénieurs palestiniens qu'ils
n'obtiendraient pas de travail au sein de l'Autorité Palestinienne, à moins
qu'ils ne rompent tous liens avec leurs homologues israéliens. Après des
relations de travail chaleureuses et fructueuses de 1995 à 2008, l'Autorité
palestinienne de l'Eau a refusé de rencontrer son homologue israélien y compris
au sein de la Commission conjointe de l'Eau créée par Oslo. Tout cela sous la
bannière "anti-normalisation", idée selon laquelle travailler avec
les Israéliens pour améliorer les besoins en eau des Palestiniens
"équivaudrait à l'acceptation des revendications maximales des Israéliens
sur le territoire palestinien".
La politique au service des administrés
avait cédé la place à une politique au service de l'idéologie et de
l'obstruction.
C'est dans le domaine de l'eau que
l'auto-sabotage de la campagne "anti-normalisation" a été ressenti le
plus fortement. Si les implantations israéliennes ont souffert d'un manque de
nouveaux projets en eau, les Palestiniens en ont souffert encore davantage.
A voix basse, les milieux d'affaires
palestiniens ont clairement fait savoir que ternir le nom d'Israël dans
certains cercles ne valait pas le prix payé en terme de qualité de vie et
d'opportunités perdues de "business".
Il y a quelques mois, la Commission
conjointe de l'eau a recommencé à se réunir, et les projets gelés depuis
longtemps ont commencé à redémarrer. La participation des Palestiniens au
projet Mer Rouge-Mer Morte et l'apparition publique de hauts responsables
israéliens et palestiniens de l'eau avec M. Greenblatt confirment que la
délégitimation d'Israël - au moins sur le sujet de l'eau - a échoué. Alors que
l'Autorité palestinienne se tourne vers une approche plus pragmatique pour
aborder la question de l'eau, mais aussi les besoins environnementaux et
énergétiques de son peuple, cela conduira à une entité politique palestinienne
économiquement plus sûre et peut-être même à de meilleurs résultats dans les
grandes négociations politiques.
Les Israéliens et les Palestiniens peuvent
désirer ne pas être voisins. Mais c'est peut-être leur situation géographique
commune qui ouvre la voie à une réconciliation plus profonde.
Publié dans le New York Times: https://www.nytimes.com/2017/07/13/opinion/israelis-and-palestinians-water-deal.html
Par SETH M. SIEGEL 13 juillet 2017