deces sharon

Ariel 'Arik' Sharon

  •   L’énigme Arik Sharon, général d’exception et météorite politique.
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    Ariel Sharon est mort ce Shabbat, à 14h 20. On dit de ceux qui décèdent durant Shabbat, qu’Hachem rappelle les Justes, ce jour-là. Or, de toutes les guerres de l’Indépendance, entre 1947 et 2005 (jusqu’à la « guerre existentielle » que constitue la 2nde Intifada, selon ses propres propos), Ariel le Lion, restera, à la fois l’un des hommes, sinon l’homme le plus controversé et le plus charismatique de toute l’histoire d’Israël. Juste, il a certainement, tâché de l‘être, à sa façon, de guerrier, de fonceur et de Juif agnostique.
    Certains ne manqueront pas de dire qu’il est victime, comme Rabin avant lui, de la « malédiction » de ceux qui ont pris le risque de proposer une solution.
    A travers lui se joue toute la survie de l’Etat, dans les premières années, face à des pays ennemis qui veulent le faire disparaître et que des hommes d’action comme lui effraient. Il a tracé les lignes de force de l’Etat, qu’il est amené à établir, en les défendant, mais aussi, en les débordant , souvent. Il va, en 2005, jusqu’à concéder une partie importante du territoire, dans la perspective d’une paix réputée « impossible », mais qu’il transforme pour imposer ses « lignes rouges ».
    On ne peut lui rendre l’hommage qu’il mérite, indéniablement, qu’en soulignant ces limites, qu’il franchit, sans hésiter, et les controverses ou accusations qu’il soulève, comme la poussière qui colle à ses pas de géant.
    Il reste un paradoxe et une énigme qui lui survivront. Les historiens, explorant les stratégies suivies par l’Etat juif, mettront longtemps avant de tirer au clair ce que fut, réellement, sa pensée politique, la cohérence de son action, et les conséquences de ses décisions dont il emporte la clé dans sa tombe.
    La première phase de sa vie concerne sa formation de Sabra, fils d’immigrants élevés en Sionistes et venus de Brest-Litovsk, alors en Pologne et Biélorussie :
    Son histoire personnelle est liée à l’édification et au devenir des implantations juives.
    Né le 26 février 1928 à Kfar Malal, dans la région du Sharon, Ariel Shneinermann est le fils de Samuil (Shmuel), agronomiste et artiste, et Vyera Scheerhof, à la ténacité légendaire, qui fait ses études de médecine jusqu’à son mariage.
    Le père de son père, Mordechaï, était un des meilleurs amis du père de Menahem Begin et tous deux avaient déjà défoncé la porte de la synagogue locale, quand le Rabbin avait refusé de faire un office en la mémoire de Théodore Herzl. La femme de Mordechaï, Miriam, était sage-femme et a assisté à la naissance de Menahem Begin.
    La mère d’Ariel, Vera Schneerhof, du petit village biélorusse de Halavenchichi, était une Sioniste, au départ, plutôt réticente. Son rêve était d’être médecin. Mais, en 1921, lors de l’avancée de l’armée rouge sur Tiflis, elle s’est mariée en hâte avec Samuil, a quitté l’école de médecine et ils se sont embarqués pour la Palestine.
    Gilad Sharon, dans ses mémoires de 2011, décrit sa grand-mère Vera, sa force et sa taille, comme lui évoquant une « descendante de Gengis Khan ».
    Elle dormait toujours avec une arme à feu sous son lit, jusqu’à l’âge de 80 ans.
    A l’été 1945, Sharon a pris part aux combats, en tant que chef d’une escouade de la Haganah, à l’écart de la surveillance de la police britannique, dans les profondeurs du désert. Il pensait avoir bien fait, mais ses commandants l’ont désigné au rang de « caporal en période d’essai ».
    Ce statut douteux s’est effacé, au cours de la guerre.

    Peu après le vote du 29 septembre 1947, qui autorisait la partition de la Palestine, Sharon, encore sous le nom de Scheinerman, conduisait une compagnie, sous la pluie battante, vers les faubourgs de Bir Addas, un village arabe, où s’étaient postées des troupes irakiennes. Il y eut de nombreux échanges de tirs, mais l’ordre de charger n’a jamais été donné, du côté israélien. Sharon a alors lancé ses hommes en avant, sans attendre. On lui a, en définitive, remis le commandement complet du peloton.
    Le Général Sharon, comme on la souvent appelé à l’étranger, n’est jamais allé à l’école des officiers.
    C’était, cependant, un commandant particulièrement doué. En 1967, il a planifié, entièrement de sa main, la première bataille de Tsahal engageant une division, contre le bastion d’Abu Agheila, dans le Sinaï. Jusqu’à aujourd’hui, le plan de bataille est enseigné dans les académies militaires, à travers le monde entier.
    Durant la guerre de Yom Kippour, il a conduit les troupes israéliennes à travers le Canal de Suez, brisant, ainsi, la colonne vertébrale de l’armée égyptienne. Alors que ses troupes encerclaient la 3ème Armée d’Egypte, Sharon, officier de réserve à l’époque, leur a ordonné d’aller planter des drapeaux israéliens sur la plus haute colline, de façon à ce que les Egyptiens sachent qu’ils étaient piégés.
    Sharon, connu de tous sous le nom d’Arik, n’avait pas besoin qu’on lui donne des ordres. En 1952, Moshe Dayan lui a demandé « de voir » s’il serait possible de capturer des soldats jordaniens et de les échanger contre des Prisonniers israéliens disparus. Le jour même, sans qu’on lui en dise plus, il est parti avec un ami, en camion, et ils se sont rendus vers le Jourdain. Ils ont plongé à l’eau, en prétendant être des fermiers à la recherche de vaches qui s’étaient enfuies, et ont désarmé deux soldats jordaniens par surprise. Ils les ont attachés et leur ont bandé les yeux, puis s’en sont retournés aux quartiers-généraux de Nazareth. Quand ils sont arrivés, Dayan était sorti. Sharon lui a, alors, laissé un message : « Moshe, la mission est accomplie, les prisonniers sont en cellule. Shalom. Arik ».
    Dayan, qui l’a recommandé pour une citation après cette mission, a dit de ses généraux qu’il préférait brider les chevaux de guerre, plutôt que d’avoir « à aiguillonner des bœufs qui refusent d’avancer ». Cela dit, Sharon s’est avéré plutôt difficile à retenir. En 1956, durant la guerre sur le Canal de Suez, il a appliqué les ordres au maximum et bien au-delà, en envoyant les parachutistes dans le passage de Mitla, dans un face-à-face macabre et inutile avec les soldats égyptiens, qui avaient creusé des tranchées et fortifications dans la montagne escarpée. Cette mission s’est soldée par la perte de 38 hommes et a cimenté une querelle à vie avec le futur Chef d’Etat-Major Motta Gur.
    A la suite de la guerre de Suez, David Ben Gurion a écrit de Sharon : « Ce gars est, en fait un penseur, un original . Bien qu’il ne dise pas toujours la vérité dans ses rapports, il ferait un dirigeant militaire exemplaire ».
    Ben Gurion, quoi qu’il en soit, a soutenu Sharon à travers toute sa carrière militaire. En 1953, après le massacre inintentionel et collatéral de civils à Qibya, le vieil homme d’Etat a gentiment changé le nom du jeune Major, qui s’appelait encore Scheinerman en Sharon.
    Malgré l’appui persistant de Ben Gurion – il a raconté à l’historien de l’armée Uri Milstein, que Sharon était “ le plus grand commandant sur le terrain de toute l’histoire de Tsahal »- et les succès tactiques stupéfiants de Sharon, lors de la guerre des Six Jours – il s’est fait, en définitive, expulsé de l’armée – après de nombreuses tentatives répétées, le 15 juillet 1973. Avant de revenir comme réserviste et gagné une phase majeure de la guerre de Kippour, de façon éclatante.
    Engagement politique et… désengagement

    Sharon a cofondé le Likoud et l’a mené à la victoire, en 1977. Mais il a passé la première décennie de sa vie politique à servir sous les ordres de Menahem Begin. Tous deux n’auraient pas pu être plus différents : l’avocat et le fermier, l’idéologue et le pragmatique. Lorsqu’ils se sont rencontrés pour la première fois, en 1969, Sharon étant toujours en uniforme, cherchant sa voie en politique, il a été frappé par « la présence extraordinaire et puissante » de Begin et a admis plus tard, avoir eu des sueurs froides, quand il a commencé à conversé avec lui.
    Le Sionisme pragmatique, auquel souscrivait ardemment Sharon, s’en tient aux “faits sur le terrain” : réclamer un autre bout de territoire, drainer un autre marais, acquérir une nouvelle vache… ne pas en parler, juste le faire ». C’est de cette façon dont il a construit toute l’entreprise des implantations, et c’est cette même attitude qui lui a permis d’en démanteler, en pensant avoir fait le maximum pour en conserver l’essentiel.
    Au cours des pourparlers de paix avec l’Egypte, leurs différences ont émergé à la surface. Begin n’aurait voulu accorder aux Palestiniens qu’une certaine forme d’autonomie, en Judée-Samarie. Sharon, révèle son fils dans ses mémoires de 2011, voulait leur conférer un « Etat ». « Mieux vaut avoir un Etat palestinien, sur une certaine partie déterminée du territoire, qu’une autonomie à travers tout le territoire ».
    Selon lui, il sentait que la terminologie même n’avait aucune pertinence sur le moyen terme. Le mot « autonomie », écrit sur un document, se métamorphoserait en un état de fait , par contre, un Etat internationalement reconnu, qui aurait été perçu, par l’Egypte, comme sa plus grande réalisation, aurait des frontières fixes, permettant à Israël de conserver les zones les plus cruciales nécessaires à sa défense et à sa sécurité.
    Mais, ce n’est pas le moindre paradoxe. D’accord sur cette finalité, il s’opposera, en 1993, aux accords d’Oslo avec l’OLP, menés par la gauche et fera, par la suite, en sorte d’écarter Yasser Arafat des solutions qu’il souhaiterait proposer, parce que les conditions, et, plus vraisemblablement, les interlocuteurs, pour ce faire, ne sont pas réunis.
    Sharon admirait le courage de Begin, comme sa décision de frapper le réacteur nucléaire en Irak. Mais la guerre du Liban et la Commission d’enquête qui a suivi, ont mis un terme à leur relation. Tous les membres du cabinet ont voté l’acceptation des recommandations de la Commission sur les Evènements dans les Camps de Beyrouth [Sabra et Chatila], c’est-à-dire la Commission Kahane.
    Plusieurs mois après sa démission, il a révélé à Begin la promesse faite à son père, qu’il ne donnerait jamais des Juifs à l’ennemi, après le drame de l’Altalena , en juin 1948, et l’aide que le Palmach avait, auparavant, apportée à l’armée britannique contre l’Irgoun de Begin et d’autres organisations. Sharon a dit à Begin : « Menahem, c’est toi qui m’a livré à eux. C’est toi qui l’a fait ».
    Sharon s’est lancé dans la course à la candidature au poste de Premier Ministre, après des années de traversée du désert, avec une montée, pour le moins, remarquée par la Porte des Maghrébins, le 28 septembre 2000, pour se rendre en visite sur le Mont du Temple. Il n’y a eu que 6 blessés, lors des échauffourées, ce jour-là, et il a fallu deux jours aux groupes palestiniens pour sauter sur l’occasion et lancer la Seconde Intifada. Néanmoins, l’histoire, déformée par les médias, préférera retenir la date de cette « provocation » comme le point de départ de cette insurrection orchestrée et préparée en sous-main, par toutes les instances palestiniennes, depuis plusieurs mois.
    Ehud Barak a dû démissionner et les Israéliens choisissent Sharon par 62% à 38%, le 6 février 2001.
    Sharon a endigué la vague de terrorisme palestinien ; se lançant corps et âme dans une campagne globale de mise à l’écart et de délégitimation de Yasser Arafat, aidé en cela par l’écho mondial des attentats du 11 septembre 2001, et l’écoute attentive des Américains, il a maintenu une relation forte avec le Président Bush et son administration.
    En 2005, avec son projet de “désengagement” de Gaza, les relations avec le mouvement des implantations sont, de plus en plus tendues. Le bras armé du mouvement, le Goush Emounim, selon Sharon, le voyait comme « l’âne du Macchi’ah », l’animal par lequel le salut viendrait.
    Il semble surtout, que du fait de ses bonnes relations avec Bush, et les lettres échangées à l’époque, il comptait " échanger " le retrait de Gaza contre des assurances américaines que les implantations de Judée-Samarie seraient largement maintenues, dans tout accord futur.
    L’homme dont l’image a été écornée dans l’opinion publique, pendant des années et qui continuera de l’être, après sa mort, souvent décrit comme un « boucher » et un dirigeant « assoiffé de sang », s’est fait applaudir devant l’ONU, à l’annonce de son plan de désengagement, par toutes les parties prenantes de l’assemblée.
    Trois mois et demi plus tard, avant de révéler en totalité l’ampleur de ses plans pour l’avenir, il est tombé, définitivement dans le coma.
    Par Marc Brzustowski. Source : Mitch Ginzburg